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1984, LANCEMENT D’ENTREZ LES ARTISTES

 

Les Résidences d’artiste sont maintenant rentrées dans les mœurs. Si quelques beaux programmes en ont préservé les particularités en refusant une instrumentalisation des artistes et en se faisant les gardiens de l’idée de durée, hors de laquelle la création n’est que gesticulation et appel au spectaculaire, combien ne sont que prétextes à des prestations de services ou à des fausses commandes faites à l’artiste. Quant aux artistes, certains sont devenus des coutumiers de la résidence, passant de l’une à l’autre et s’investissant dans ces situations comme des acteurs culturels plus qu’avec le poids d’une problématique artistique singulière. Ce dont leurs travaux portent malheureusement l’empreinte.

Pour autant les dérives observées ne proviennent pas de la réduction des ambitions. Les déclarations attestent au contraire de la volonté de soutenir la qualité artistique et de ménager l’intensité de rencontres avec l’art. Face à cette situation, de nombreux acteurs culturels exigeants et engagés s’interrogent. Quel étrange obstacle s’insinue entre la volonté de l’acteur culturel et la mise en œuvre de résidences d’artiste, situation que les différents acteurs appellent pourtant de leurs vœux et aux exigences de laquelle ils croient souscrire.

C’est ainsi qu’est née l’idée de revenir à la genèse de ce type de dispositif dont l’histoire à ce jour n’a encore jamais été consignée. Faire retour aux origines peut être propice à la réflexion ou pour le moins à la nourrir. Alors que le recours aux Résidences d’artiste s’est banalisé au point d’apparaître comme un incontournable des politiques culturelles publiques, parmi les jeunes acteurs, qui pourrait imaginer qu’au début des années 1980, mise à part la prestigieuse Villa Médicis à Rome, ce vocable ne renvoie en France à aucune réalité. En effet, les premières résidences d’artistes sont engagées en 1985 non sans de grandes oppositions et débats et grâce à d’improbables opportunités.

 

Genèse des Résidences d’artiste en France

 

« Le principe de six implantations d’une durée d’un an d’artistes plasticiens résidents en milieu scolaire (collèges, L. E. P., lycées techniques) est retenu. ». C’est ainsi qu’est annoncé le lancement pour la première fois en France, de résidences d’artistes. Il figure dans la Convention pour le Développement de l’Action culturelle en Milieu scolaire d’Île-de-France, signée le 25 septembre 1985. Cinq pages lui sont annexées présentant les principes, les objectifs ainsi que les protagonistes des six premières résidences « Entrez Les Artistes », le programme de Savoir Au Présent, devenu historique. La conception d’un tel dispositif répondait à un certain nombre des priorités que s’était fixé le nouveau gouvernement socialiste : la démocratisation culturelle, le soutien des artistes, l’ouverture de l’école sur son époque.

 

LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE

 

La gauche élue en 1981 veut donner la priorité à la démocratisation culturelle. Elle entend élargir le « cercle des initiés » et réduire les inégalités d’accès à la culture qu’elles soient d’ordre territorial ou social.

Nous avons « la volonté d’enrichir les pratiques culturelles de toutes les couches de la population et prioritairement de tous ceux qui sont exclus de l’essentiel de la vie culturelle » indique Dominique Wallon, Directeur du Développement culturel (DDC), à l’occasion du 20e anniversaire de la Maison de la Culture du Havre en 1981.

Dans ce but, le Ministère de la Culture entend associer le maximum d’acteurs et d’instances tant publics que de la société civile à la mission culturelle « des collectivités locales, des entreprises, de divers publics… de la société tout entière. »

Une politique de conventionnement tous azimuts est engagée. D’où un outil administratif que la Direction du Développement Culturel met en place, les Conventions de développement culturel dont les premières sont signées dès 1982 avec des villes. Par La suite des accords sont négociés avec différents ministères l’Éducation Nationale, la Justice, la Santé, la Recherche, ainsi qu’entre le Ministère de la Culture et des entreprises via les comités d’entreprise (Pour ces dernières en 1983/1984. Le colloque organisé par la DDC au Havre en juin 1985 en rend compte).

C’est dans cette dynamique qu’est signé le Protocole d’accord entre le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Éducation Nationale le 25 avril 1983. Le Protocole de 1983 entend amplifier, démultiplier, généraliser à tous les stades, la collaboration entre le système d’enseignement et le réseau culturel, et lui conférer une dimension institutionnelle : création d’instances communes de concertation, développement des budgets de l’un et l’autre ministères dédiés à ces actions, formations permanentes conjointes des professeurs organisées en partenariat, options en expression dramatique et audiovisuelle dans certains lycées prises en charge par des acteurs du réseau artistique, etc…

La Convention pour le Développement de l’Action culturelle en Milieu scolaire de 1985 évoquée plus haut, entre le Directeur Régional des Affaires culturelles et les trois Recteurs des Académies d’Ile de France à laquelle les services centraux des deux ministères ont également largement participé, est la première concrétisation du Protocole d’Accord interministériel du 25 avril 1983.

C’est dans cette Convention expérimentale et ambitieuse, dont l’enjeu est d’engager les deux administrations sur un plan pluriannuel d’actions partenariales au niveau régional, qu’est stipulé le lancement par Savoir Au Présent des premières résidences d’artiste, six au démarrage, soit deux par Rectorat d’Ile de France. C’est la naissance du programme Entrez Les Artistes. Il est placé dans le troisième volet consacré au « développement des langages artistiques » et, sur les 52 900 € (347 000 F) consacrés à cette section, pour l’année 1985 il bénéficie d’une enveloppe de 45 280 € (297 000 F).

 

LE SOUTIEN AUX ARTISTES

 

Si la démocratisation culturelle est une priorité du Ministère de la Culture, le soutien des artistes et la conservation des œuvres restent les missions essentielles de cette institution, ainsi que le prévoit sa vocation initiale. Or, en 1981, parmi les différentes expressions artistiques, les arts plastiques contemporains ne bénéficient que de peu de lieux spécifiques de présentation, ni de modes de soutien adaptés. Les institutions de la DMF (Direction des Musées de France) ne sont nullement équipées ni adaptées aux particularités de la conservation ni de la présentation d’installations, d’œuvres conceptuelles, de peintures murales le temps d’une exposition, etc… Jusqu’en 1981, les arts plastiques n’ont ni espace, ni équipement spécifiques dans les Musées.

Une mission de réflexion est conduite par Claude Mollard et Michel Troche pendant 9 mois qui aboutit les 15 et 17 octobre 1982 respectivement à la création du Centre National des Arts Plastiques et de la Délégation aux Arts Plastiques et dans le même mois, à l’annonce des 72 mesures pour la création artistique. C’est une étape considérable qui voit notamment la création des FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain), initialement pensés pour être des collections d’art contemporain sans lieu, ainsi que des Centres d’Art qui, à l’inverse, sont conçus comme des lieux d’exposition de formation et d’action en directions des publics, sans collection. En outre des dispositifs de soutien sous forme de bourses d’état sont introduits à destination des artistes.

L’une des préoccupations essentielles du plan ministériel est relative à « l’outil de travail » du plasticien, à savoir son atelier. Les premières lignes de la Lettre d’information du Ministère d’octobre 1982 annonçant ces 72 mesures y sont consacrées: « Dans ce domaine (les arts plastiques), comme dans les autres secteurs de la création, la priorité va à la création. Favoriser la création, c’est d’abord reconnaître la liberté des créateurs, leur indépendance économique et sociale, le droit pour chaque artiste de disposer d’un outil de travail.

C’est pourquoi, au cours des prochaines années, il est prévu d’accroître considérablement le nombre d’ateliers d’artistes, à Paris et dans toutes les villes de France, … ». Ambition qui est rappelée par le Ministère dans son bilan (1981/1991) où est réaffirmé « Premier outil de l’artiste : l’atelier, dont l’accroissement est un objectif prioritaire du Ministère de la Culture ».

Mais malgré un plan important de développement des ateliers d’artistes et la proposition d’allocations d’installation, il apparaît très vite qu’on ne pourra faire face de manière satisfaisante à la demande.

Les Résidences d’artistes sont censées constituer une alternative. « Nous n’avons pas assez d’ateliers pour les artistes. Des espaces sont disponibles dans les établissements scolaires. Installons les ateliers des artistes plasticiens dans les lycées et les collèges », affirmait notamment Jean Ader, chargé de l’éducation artistique à la Direction du Développement culturel du Ministère de la Culture.

 

L’OUVERTURE DE L’ÉCOLE SUR SON ÉPOQUE

 

Cependant une telle orientation n’aurait pu se concrétiser sans qu’existe un courant favorable au sein de l’Éducation Nationale. Or, au début des années 1980, ouvrir les établissements scolaires sur le monde qui évolue, devient un leitmotiv. Une forte aspiration existe visant à amplifier les partenariats culturels, les artistes étant à juste titre perçu aux avants postes des langages artistiques contemporains. Pour favoriser ce mouvement, des personnels de l’Éducation Nationale sont mis à la disposition des services centraux du Ministère de la Culture. Ils favorisent l’assouplissement de relations institutionnelles traditionnellement peu enclines au partenariat, en dépit du rôle symbolique de premier plan de la culture pour l’un et pour l’autre. L’artiste puisant son inspiration dans le présent et inventant les formes du futur est une figure forte de notre époque. Son accueil par les établissements scolaires est pour ces derniers une manière indirecte mais très forte de s’ouvrir sur le monde.

La Mission Luc, initiatrice au milieu des années 1970 des PACTE qui deviendront les PAE (Projets d’Actions Éducatives), avait préparé le terrain. Même si, avec ce dispositif, il s’agit de collaborations entre des enseignants et des artistes, et non de situations institutionnelles ménageant la présence de l’atelier d’un artiste au sein d’établissements scolaires, comme le prévoient les résidences d’artistes.

D’un autre côté, un important travail théorique avait situé l’enseignement des arts plastiques du côté de l’artistique. Parmi ses propositions, Gilbert Pélissier, Inspecteur général, fondant la didactique de cette discipline établissait une relation structurelle entre ce domaine et la création artistique en introduisant l’idée qu’à l’instar des autres matières enseignées, cet enseignement était également doté d’un champ de recherche fondamentale, à savoir l’art contemporain. La présence d’ateliers d’artiste au sein des collèges et lycées constituait l’une des manières d’articuler cette discipline à son champ de référence.

Ainsi l’introduction des Résidences d’artistes en milieu scolaire a répondu à trois priorités :

– Au tournant politique de 1981, à la volonté d’associer le plus grand nombre à l’art de notre époque, en commençant par les établissements de l’Éducation Nationale qui rassemblent les jeunes issus de toutes les couches de la population jusqu’à 16 ans,

– À la préoccupation du Ministère de la Culture d’aider les artistes à bénéficier d’un atelier,

– Pour le système éducatif, alors que se multipliaient les PAE, se faisait jour la nécessité d’introduire un autre type de relation basé non plus sur des collaborations enseignants/artistes mais, en amont, sur des situations intervenant structurellement, au sein des établissements scolaires.

 

Comment le programme « Entrez les Artistes », lancé en 1985 et comportant initialement en tout et pour tout six Résidences d’artiste en Île-de-France, donne naissance à un dispositif type des politiques culturelles publiques, de dimension nationale, et ouvert à toutes les disciplines artistiques, la littérature, le théâtre, la danse, la musique.

 

Le projet d’étendre largement ce programme au-delà de l’Ile de France ainsi qu’aux autres disciplines artistiques est porté dès l’origine : « L’analyse qui sera faite tendra à fixer les modalités permettant de renouveler ce type d’actions l’année suivante, et éventuellement d’étendre ces initiatives à d’autres régions ou à d’autres disciplines, celles réalisées en 1985-86 constituant une toute première expérience » lit-on dans sa présentation annexée à la convention interministérielle de 1985. Cependant son développement requérait qu’une forte dynamique soit enclenchée permettant de dépasser les obstacles, voire les oppositions farouches auxquels ce programme n’a pas manqué de se heurter. Trois facteurs ont été déterminants :

– la dynamique du programme « Entrez Les Artistes » lui-même,

– l’étayage théorique élaboré au fur et à mesure qui en a charpenté l’assise méthodologique,

– Le colloque « École / Milieu artistique » organisé à l’échelon national sur trois jours chaque année, de 1988 à 1992, au Palais de Luxembourg, auxquels participaient nombre des acteurs désireux, à leur tour de lancer ce type de dispositif.

 

LA DYNAMIQUE DU PROGRAMME « ENTREZ LES ARTISTES »

 

Bien que souhaité, le succès que connaîtra ce programme était loin d’être assuré. Du côté des artistes, peu d’entre ceux dont la démarche s’inscrit dans les préoccupations les plus contemporaines, sont prêts à « retourner » à l’école même dans les conditions proposées. Leurs réticences tiennent notamment à l’idée d’animation ou de médiation à laquelle ils associent leur présence dans les établissements scolaires, ce qui constituait alors, ainsi que les PAE l’avait érigé, l’unique manière d’envisager les relations entre les artistes et l’École. C’est ainsi qu’en dépit de l’assurance qu’il en serait autrement, il fallut en interroger une cinquantaine pour que six d’entre eux acceptent finalement de se lancer dans l’aventure.

Côté Éducation nationale, les choses ne sont pas plus favorables. Si la décision de s’engager est prise en haut lieu, le terrain n’est pas si accueillant. Le programme rencontre des réactions peu encourageantes. Et les premiers proviseurs à se montrer favorables font figure de défricheurs. « Dans un milieu où chacun a sa place, un rôle, un statut bien définis, que penser d’un artiste dont on précise « qu’il est là, dans un local que l’établissement met à sa disposition pendant un an, pour poursuivre sa démarche essentiellement » ». Autre source de conflit, le fait de ne pas soumettre le programme à l’élaboration de projets préalables : « dans un milieu qui fonctionne sur des projets finalisés comment faire accepter que chaque situation s’invente au jour le jour et que l’insolite d’une présence suffise à favoriser des actions pédagogiques et interdisciplinaires… »1. Enfin, le double statut des professeurs d’arts plastiques, artiste et enseignant, entraîne un sentiment de concurrence et d’injustice qui va déclencher une véritable bataille rangée où les professeurs revendiqueront d’être les artistes résidents.

Ce qui ne favorise pas un accueil chaleureux d’artistes venus d’ailleurs.

Il faut trois bonnes années pour que la confiance commence à s’installer à force de débats, d’explications, de clarifications contredisant les contresens et les malentendus, et que les acteurs s’approprient le dispositif.

Les artistes ont pu vérifier qu’il ne leur était demandé aucune animation ni mission pédagogique. Leurs témoignages et les œuvres réalisées dans ce cadre sont là aussi pour attester du parti qu’il leur est possible d’en tirer pour leur propre démarche. Les candidatures spontanées se font de plus en plus nombreuses de la part des artistes les plus exigeants et les plus au fait des problématiques artistiques contemporaines.

Côté éducatif, les effets de la présence des artistes sur l’image de l’établissement et la revalorisation de certaines filières, et sur l’attitude des jeunes en situation d’apprentissage, conduisent les proviseurs à vouloir reprendre l‘expérience à la rentrée, en dépit de la règle instituée dès l’origine d’éviter son renouvellement dans les mêmes établissements, afin de favoriser sa diffusion.

Dans les établissements professionnels et techniques, « les élèves manifestent une réelle surprise face au sérieux des artistes et à l’acharnement qu’ils mettent pour aller jusqu’au bout de leur entreprise ». Ils sont étonnés de constater qu’au-delà des paillettes dont ils l’avaient auréolé, « un artiste ça bosse… ça réfléchit et ça passe beaucoup de temps pour mener à bien son projet »2, ce qui a des conséquences importantes sur leur propre investissement au sein des ateliers.

Après l’Ile de France, en 1987-88 d’autres résidences sont développées en Basse-Normandie. Puis c’est véritablement en 1988-1989 que les DRAC et Rectorats à se lancer sont plus nombreux : à côté de l’Ile de France où le nombre des résidences s’est multiplié et la Basse-Normandie, sous la conduite de Savoir Au Présent les acteurs institutionnels de Bretagne, de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, d’Aquitaine, de Picardie et d’Alsace rejoignent « Entrez Les Artistes ». Jusqu’en 2002, cent cinquante résidences de plasticiens parmi les plus talentueux seront coordonnées par Savoir Au Présent.

Les synergies créées par cette initiative feront naître un mouvement important en faveur des Résidences d’artistes de la part des édiles, des artistes comme des acteurs culturels et éducatifs … y compris dans d’autres cadres et dans d’autres disciplines. Adossé à l’expérience qui est menée, le dispositif est proposé à des écrivains dès 1986 dans l’Académie de Créteil. De même des membres de Compagnie de théâtre participent au colloque « École / Milieu artistique » organisé par Savoir Au Présent. Leur but, étudier la possibilité de lancer des Résidences théâtrales et bénéficier des réflexions menées jusqu’alors. Des tentatives sont engagées de manière autonome sur le plan structurel – Savoir Au Présent ne souhaitant pas s’engager hors des Arts plastiques. Les initiatives puisent dans les réflexions conduites par l’association des enseignements que chacun adapte ensuite selon les conditions et spécificités de sa discipline.

 

L’ÉTAYAGE THÉORIQUE ÉLABORE AU FUR ET À MESURE EN A CHARPENTE L’ASSISE MÉTHODOLOGIQUE

 

Les débats et les contradictions évoqués plus haut, ainsi que des difficultés concrètes ont nécessité de porter d’emblée les questions sur un plan théorique. Ainsi, l’une des visées du programme selon laquelle les artistes trouveraient des ateliers dans les établissements scolaires, argument qui avait l’avantage de fonder la relation sur des causes utilitaires, était évidemment une fausse bonne idée. Tout espace d‘une telle collectivité est nécessairement occupé et les établissements n’avaient pas de telles ressources sans qu’il faille les libérer. Ce qui situait les choses différemment. De même, consacrer cet espace et mettre à la disposition d’artistes les équipements techniques et technologiques de lycées et de collèges, a posé nombre de problèmes pratiques et de sécurité. Comment permettre à un artiste d’y travailler librement, y compris le week-end et pendant les vacances scolaires ? Comment traiter les risques pris pour lui-même ou vis-à-vis des élèves alors que l’artiste n’est pas « personnel de l’Éducation Nationale » ? Comment résoudre les questions d’assurance quand « l’État est son propre assureur » et que pourtant des œuvres peuvent être dégradées ou volées ? Quel statut pour l’artiste non soumis à une « relation de dépendance », selon la formulation du droit du travail ?

Chaque nouvelle interrogation impliquait de revenir au fond, à la logique du programme dont les objectifs se trouvaient par là même réinterrogés et les enjeux affinés. Des considérations organisationnelles, managériales ou en terme de communication ne permettaient de répondre à aucune des difficultés rencontrées. Seuls, l’affinement des enjeux de part et d’autre des données issues des contextes éducatifs d’une part, artistiques d’autre part, l’approfondissement de la logique inhérente à ce type de dispositif, la mise au point au fur et à mesure de modalités permettant de faire le point et de tirer des enseignements des expériences réalisées, pouvaient résoudre les problèmes et par là même ancrer ce type de dispositif sur le long terme. « Entrez Les Artistes » s’est développé année après année telle une recherche. Les réflexions qui ont été conduites ont permis de dégager des principes valables dans tous les cas, tout en ménageant la possibilité que se dessine chaque fois une histoire particulière qui s’écrit au fur et à mesure, féconde les imaginaires, imprime les mémoires, suscite des expériences sensibles.

Une résidence d’artiste consiste non à organiser une collaboration entre un artiste et une collectivité de professeurs, mais à ménager une présence, celle de l’artiste, de sa démarche, de son œuvre, au sein d’une structure d’accueil, pendant une durée significative. L’atelier de l’artiste devient le signe de cette présence, lieu symbolique, à la fois intégré à la collectivité et en même temps autre, où l’activité obéit à son propre rythme et relève d’exigences différentes. Pour autant, pas plus qu’ils n’ont à instrumentaliser l’artiste, les établissements scolaires, chargés de la belle et essentielle mission éducative, n’ont pas à devenir des mécènes. D’où un espace en tension. Les deux positions des éducateurs et des artistes ne sont pas compatibles. Nous sommes en présence d’une situation paradoxale d’autant plus fructueuse que les différences gardent leur relief, voire leur aspérité. Ce que Gilbert Pélissiser, Inspecteur Général de l’Éducation Nationale et Doyen des Enseignements artistiques exprimait en 1989 au cours du colloque « École / Milieu artistique » au Sénat : « Si j’étais encore enseignant d’arts plastiques, … assurément, …je serai demandeur d’intervention d’artistes, mais à une condition : que les artistes n’enseignent pas. Ils m’intéressent trop pour ce qu’ils sont et les enseignants aussi. »

Quel rôle pour l’acteur culturel ? Il lui revient de dessiner des dynamiques qui catalysent les rencontres, les résonances entre les intérêts et expériences des uns et de l’autre en phase avec les problématiques portées par l’œuvre de l’artiste et les éléments du contexte ; sans pour autant se substituer aux acteurs sur le terrain. Respecter les temps de latence, poser quelques étapes, dessiner à certains moments des contenus, l’ensemble, basé sur une recherche de cohérence, doit soutenir sans s’imposer, dynamiser parfois, sans productivisme, rassurer ou faciliter en toute légèreté.

 

LE COLLOQUE « ÉCOLE / MILIEU ARTISTIQUE »

 

La vocation de Savoir Au Présent ne consiste pas à « faire du chiffre », mais à approfondir les fondements des dispositifs auxquels elle s’attache, pour poursuivre des visées qualitatives. Aussi la formation de relais fut-elle une préoccupation dès l’origine. Elle figure également dans la convention initiale par l’annonce « d’un stage expérimental », « mobilisant l’ensemble du personnel d’un L.E.P. de Saint-Denis et pouvant déboucher sur l’installation d’un artiste en résidence… ». Ce stage fut mis en œuvre par l’association dès la première année. Il constitua un banc d’essai pour les formations proposées aux enseignants les années suivantes dans le Plan académique, à propos des résidences d’artistes. Cependant, s’ils préparaient les enseignants à accueillir un artiste en résidence, ces moments de formation n’avaient pas d’effet sur l’impulsion initiale qui conduit à lancer des résidences et qui requiert impérativement une tierce personne, un acteur culturel.

Aussi la mission confiée à Savoir Au Présent en décembre 1986 par Michel Tourlière, alors Délégué aux Enseignements et aux Formations du Ministère de la Culture pour développer le programme, comprenait-elle aussi un volet informatif et de conseil auprès d’acteurs potentiels dans six régions. Mais sa réalisation montra la difficulté d’une transmission déconnectée de la pratique compte tenu de la fluidité du langage et de sa polysémie ; ce qui ne permet pas de « modéliser » les choses ainsi. Seule une réflexion partagée, l’imprégnation par des préoccupations communes, et en finale une interprétation personnelle de ces dernières, étaient réalisables pour optimiser les chances d’aller dans le même sens.

C’est à ce but qu’a répondu le colloque « Ecole / Milieu artistique » organisé à l’échelon national sur trois jours chaque année, de 1988 à 1992, au Palais de Luxembourg à Paris. C’est au cours de ce colloque que se transmettaient et s’interrogeaient les réflexions menées tout au long de l’année. Il réunissait acteurs culturels, décideurs politiques, artistes, enseignants, inspecteurs et revenait sur les expériences coordonnées par Savoir Au Présent l’année précédente. Des responsables d’entreprise étaient également présents car certaines résidences « Entrez Les Artistes » se sont développées dans ce réseau. Les participants en grand nombre venaient de toutes les régions de France et des territoires d’Outre-mer.

Chaque colloque eut son millésime. Ne serait-ce que par son thème et les aspects administratifs plus particulièrement traités. En 1988, bien des débats restent vifs. Il s’agit encore de « répondre aux interrogations et d’affiner le contexte ». Il est cependant déjà établi que coordonner des résidences n’est ni une question d’inventivité ni d’organisation, mais « qu’au-delà des apparences, la réussite est liée à la rigueur de la démarche », de la logique de ce type de dispositif. Le colloque de 1989 s’ouvre à des points de vue plus larges autour de trois questions très débattues : la frontalité Éducation Nationale/Culture, la place des artistes dans l’Éducation Nationale et le rôle de l’acteur culturel. Une point est plus particulièrement abordé, celui de l’évaluation à propos duquel des pistes commencent à être dessinées. Des échappées vers le tissu social extérieur aux établissements scolaires, vers le réseau des institutions artistiques d’une part, l’Europe de l’autre, marque les rencontres de 1990. Alors que celles de 1991 mettent l’accent sur la relation partenariale éducation/culture comme figure d’une situation nécessairement hétérogène et non complémentaire, gage d’apports positifs pour les uns et les autres. Ces travaux confirment le caractère paradoxal des résidences d’artiste. Des visites sur le terrain sont organisées en soirée. Le colloque de 1992 tourne autour de la notion de « présence artistique », à laquelle est assimilée la résidence d’artiste. Des artistes, des professeurs, des acteurs culturels donnent leur point de vue.

Moment de partage des réflexions et de diffusion des acquis, le colloque « École / Milieu artistique » constitua un outil extrêmement puissant pour le développement de l’idée de résidence d’artistes et le déploiement de ce type de dispositif en France.

De nombreuses personnes nous ont accompagnées dans cette aventure. Grâce à leur vigilance et à leur soutien sans faille, nous avons pu passer les étapes, construire au fur et à mesure les assises théoriques de ce type de dispositif et assurer sa forte notoriété et son développement au plan national. Toutes ne peuvent être nommées ici bien que tous restent dans nos mémoires, Marthe Garçon et moi-même. Nous ne citerons qu’un très petit nombre d’entre elles : Jean Ader, Jean Bénézech, Sylvie Blanc, Yves Chevalier, Geneviève Gallot, Françoise Juhel, Jean-Luc Michel, Alain Moget, Gilbert Pélissier, et dans une seconde et essentielle deuxième phase, Hélène Mathieu. Nous exprimons à tous notre reconnaissance pour la chaleureuse confiance qu’ils nous ont témoignée.

 

LISE DIDIER MOULONGUET
SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE SAVOIR AU PRÉSENT
À PARTIR DE L’INTERVENTION DU 15 NOVEMBRE 2007 AU CENTRE D’ART DE L’YONNE

 

 

1. Entrez Les Artistes, 1985 – 1992, Sept ans d’une Aventure. Point intermédiaire réalisé par Marthe Garçon. Archive Savoir Au Présent
2. Nombre de témoignages d’élèves allant dans ce sens sont recueillis en juin 1986 dans les ateliers du lycée E. J. Marey de Saint Denis qui avait accueilli Daniel Brandely, et du lycée de la rue des Haies à Paris où Didier Riesen était en résidence.