LA RÉSIDENCE D’ARTISTE, UNE SITUATION PARADOXALE

par Lise DIDIER MOULONGUET, Secrétaire Générale de Savoir au Présent, le 3 juillet 2006

 

Aide à la création et dispositif de sensibilisation à l’art contemporain, la résidence d’artistes réunit en un même lieu, un même temps et une unique situation les deux logiques opposées de l’offre et de la demande.
Toute résidence d’artiste relève d’une situation paradoxale qu’il ne s’agit ni de lisser ni de réduire, mais au contraire d’exalter.
En effet, il en va de la dignité et du professionnalisme de l’acteur culturel de soutenir pleinement les artistes, et d’assumer également cette autre mission de la politique culturelle qui consiste à permettre au plus grand nombre une communion et une compréhension profonde des œuvres fussent-elles les plus contemporaines, sans en appeler au prosélytisme de l’artiste.
Ce point est d’autant plus fondamental pour les arts plastiques que le créateur est solitaire, contrairement au spectacle vivant où la mission culturelle est susceptible d’être partagée.

La résolution de telles contradictions ne relève pas d’abord de qualités d’organisation, ou du bon sens que défie par définition toute situation paradoxale, mais d’une analyse structurelle permettant de clarifier le rôle et le niveau d’intervention de chacun des protagonistes : l’artiste, la structure d’accueil, enfin l’acteur culturel en charge du programme.
C’est forte de ce constat que Savoir Au Présent qui, avec les Ministères de la Culture et de l’Éducation Nationale introduisait en France les Résidences d’artiste en 1984/85, a identifié les ressorts, repérer « les passages obligés » et mis au point les outils contractuels renforçant cette double vocation des Résidences du point de vue symbolique.

Son programme Entrez Les Artistes au sein duquel ont été développées dans l’hexagone 150 résidences d’artistes plasticiens parmi les plus talentueux, a soutenu la recherche et permis d’en établir les principes. En particulier :

  • La participation des artistes n’est pas soumise à l’élaboration d’un « projet ». Cette condition n’allait pas de soi dans un secteur où les actions en partenariat y sont le plus souvent invitées.
    La pré-visualisation qu’implique le projet suscite en effet l’attente que l’artiste presque nécessairement décevra ou détournera, s’il joue véritablement le jeu de l’atelier dans lequel développer sa propre démarche.
    Qui plus est, s’il se prend au jeu du « projet préalable », sa posture procède davantage de l’exécution technique d’une tâche conçue en amont, que de la dialectique qui laisse place aux imprévus et aux découvertes au fur et à mesure et dont procède la production artistique en atelier.
  • L’artiste reçoit une bourse, voire des droits d’auteur qui impliquent une situation d’autonomie ; au contraire d’un salaire qui, même ponctuel, induit une « relation de dépendance » selon la formulation du droit du travail. Pour autant ce type d’attribution répond à des règles rigoureuses qui orientent une part de la démarche et qu’il est important de respecter.

Ces deux points, qui pourraient être complétés par de nombreux autres pour une présentation exhaustive des questions posées par les Résidences d’artistes, n’ont pas toujours été appréhendés par les nombreux acteurs développant ce type de programme.

En dépit du succès incontestable du mouvement engagé par Savoir Au Présent et du colloque national École/Milieu artistique organisé au Sénat de 1988 à 1992 pour capitaliser les analyses avec tous ceux qui souhaitaient à leur tour s’engager, nombre d’expériences méconnaissent la complexité inhérente à un tel dispositif.

Si certaines attestent d’une réelle justesse et d’une grande qualité, la Résidence d’artiste est malheureusement pour beaucoup d’autres l’occasion de faire jouer à l’artiste un rôle social, voire éducatif, bien éloigné de l’art, dont le soutien constitue l’un des enjeux essentiels.

 

Pôle d’Artdes résidences d’artiste en entreprises
ouvertes sur le territoire

Face à cette situation, Savoir Au Présent interrompt Entrez Les Artistes en 2001.

Le principe des Résidences d’artistes en ayant été clarifié, ce type de dispositif s’étant généralisé comme l’objectif en avait été fixé par Savoir Au Présent avec le Ministère de la Culture, Savoir Au Présent engage à titre d’expérimentation Pôle d’Art, pour tenir compte d’un contexte qui a extraordinairement évolué depuis 1985.

Pour Pôle d’Art, trois observations :

  • Avec ses FRAC, ses Centres d’Art, les nombreux lieux d’exposition, son enseignement rénové, le réseau de l’art contemporain en France s’est extraordinairement densifié et structuré en vingt ans. Les Pôles sans murs et sans équipes permanentes permettent de le compléter selon une logique nomade et éphémère.
    Ils se construisent autour d’une Résidence d’artiste, ont une existence éphémère de 1 à 2 ans et invitent à des rencontres de grande densité avec l’art.
    Dans ce but une large sensibilisation de tous les relais volontaires – éducatifs, sociaux, culturels – est assurée par Savoir au Présent bien au-delà de la Résidence proprement dite.
  • Du côté des artistes, tout un champ de la recherche fondamentale et appliquée, de l’expérimentation sociale, des systèmes avancés de communication, leur sont souvent inaccessibles.
    Contrairement aux années 1970, le domaine artistique reste aujourd’hui, pour partie, à l’écart des inventeurs de notre futur. Pôle d’art se situe dans ces environnements de recherche pour donner aux artistes la possibilité d’être en prise avec les technologies et les réflexions les plus innovantes.
  • Du côté des publics, l’art contemporain ne fait plus scandale. De même que l’approche de l’art s’apparente plus souvent à une activité de loisir qu’à un parcours doté d’intensité et de rencontres éblouies.
    Nous voulons inviter à un véritable amateurisme, non pas celui des « pratiques amateurs », mais celui qui renoue avec l’engagement, voit grandir la curiosité et le goût, accueille la complexité, mûri en se confrontant aux problématiques artistiques.
    Pôle d’Art veut offrir cette chance à chacun et au plus grand nombre, aussi éloigné soient-ils géographiquement ou mentalement de l’art contemporain, en créant les conditions d’un véritable amateurisme.